Biennale d’architecture – 2016

Texte paru dans Nouvelles Richesses (Obras-Frédéric Bonnet & Collectif AJAP 2014, éd. Fourre-Tout), à l’occasion de l’exposition d’architecture du pavillon français de la Biennale d’architecture de Venise, 2016.

Nouvelles Richesses
Catalogue de l’exposition du Pavillon français – Biennale de Venise 2016

Nouvelles du Front

Bidonvilles, nouvelles richesses

L’association Système B (comme bidonville) a pour ambition de pérenniser et développer des réflexions engagées sur des bidonvilles de Champs-sur-Marne au sein de l’École d’architecture de la ville et des territoires à Marne-la-vallée (éav&t). Elle active et fédère dans et hors l’école un ensemble de démarches polymorphes orientées vers les bidonvilles du campus Descartes et de sa périphérie, territoires habités temporairement sur l’emprise de ZAC envisagées ou programmées. La proximité de l’école d’architecture avec ces territoires habités a permis d’établir des échanges suivis entre étudiants, enseignants et habitants des bidonvilles.

Le bidonville n’est pas un sujet nouveau, mais sa prise en compte en France reste architecturalement marginale, reléguée à la frontière négligée de l’architecture avec le politique. Parce qu’il interpelle toutes les dimensions d’une approche à la fois engagée et inscrite dans le réel, il suggère sous de nouvelles formes et de nouvelles pratiques une dynamique architecturale comblant l’inadéquation des politiques urbaines et du logement à la pauvreté et la précarité. Investir le bidonville en occident, à notre porte, là où nous pouvons le mieux le connaître et lui être utile, est le point de départ de ces démarches.

À Champs-sur-Marne, les espaces boisés sont habités par des centaines de familles (500 à 600 personnes recensées en moyenne par an par le collectif Romeurope 94), Roms d’origine roumaine ayant émigré en France. Ces familles ancrés sur le territoire depuis plusieurs années sont continuellement expulsées et poussées plus loin par les pouvoirs publics, accentuant la précarité de leurs conditions de vie.

Différents champs d’actions nés des relations tissées entre ces habitants et des étudiants, des enseignants, des associations locales se sont engagés sous des formes tactiques, à la frontière de l’informel et l’institutionnel, pour engager d’autres devenirs : un travail de « l’entre-deux », de la porosité des frontières, partant du terrain. L’action est locale, collective et politique. Il s’agit à la fois d’agir pour améliorer les conditions de vie des habitants et de travailler à changer le regard, retourner les certitudes et les situations : faire comprendre le rôle social du bidonville, l’accepter en positivité, le penser comme porteur de richesses et de ressources, rompre le cycle infernal et illusoire de sa destruction.

Les hypothèses de travail adoptées ne sont pas des utopies mais des champs prospectifs sur le mode « et si » destinés à ouvrir de nouveaux possibles. L’architecture a le pouvoir de penser le monde en imposant, aux sources d’elle-même, la nécessité et la force de l’abri. Elle peut aussi exercer un pouvoir de résistance face aux politiques et aux donneurs d’ordre, voire aux spéculations architecturales soumises aux pulsions modernisantes perpétuelles de la construction neuve, des normes et des standards, à l’heure où la déconsommation appelle d’autres réflexions et positions.

Faire confiance à l’être humain est ici une position qui semble s’accorder à l’optimisme qui transparaît des espoirs de la Biennale dans un monde pourtant économiquement et politiquement difficile. D’une part par le respect au sens fort des habitants du bidonville : de leurs choix d’implantation, de leur mode d’habitation, de leur autoconstruction. D’autre part en croyant que nombre d’entre eux peuvent trouver par eux-mêmes leur chemin hors du bidonville, comme avant eux d’autres immigrés, personnes en précarité ou en revirement de fortune. Pour aider cette insertion ou réinsertion patiente et volontaire, il faut admettre d’abord que le bidonville est un territoire de survie qui peut trouver sa place dans les process de fabrication de la ville et les formes de pensées architecturales. Admettre qu’on peut repenser une ville du temporaire, de la frugalité, du non-conforme, du fragile.

De ces positions partagées sont nés successivement des tables de travail informelles entre étudiants et enseignants, la mise en commun de premières interventions sur site, des mémoires de licence et de master, un diplôme remarqué engageant ses auteures dans l’école, l’accueil par l’éav&t d’un cours puis d’un workshop spécifiques auquel s’associent désormais d’autres étudiants du campus (d.school, Eivp, Ponts et Chaussées). Dans le même temps naissait une association de réflexion et d’action sur le bidonville réunissant dans une forme peu commune enseignants, étudiants et anciens étudiants : Système B, comme bidonville, qui agit et résonne avec le travail de l’école.